Un portrait sans confessions d’Yves Montand

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«POUR ma mère, à Flavie, à nos enfants, à ma soeur Clémentine. » C’est par cette formule que Benjamin Castaldi dédie son livre.
Sur la couverture, une photo de lui, enfant, en compagnie de sa grand-mère, Simone Signoret. Le récit démarre par le souvenir d’une discussion avec celui qu’il n’appelle jamais autrement que « Montand ». « T’es au courant que j’ai eu une petite aventure avec Marilyn Monroe ? » fanfaronne l’acteur devant le futur animateur, avant d’ajouter : « Je voulais juste l’embrasser pour lui dire au revoir (…). Et là, ça a ripé. On s’est embrassés (…). Après, on a fait l’amour (…). Elle n’était pas bien foutue. Elle avait de beaux seins, mais le reste n’était pas terrible. » Montand reconnaîtra que la suite s’est passée « difficilement » avec une Simone Signoret résignée.

Machiste, parfois cynique et souvent cruel

Viendra cette phrase terrible du comédien au tout jeune Castaldi : « Tu sais, petit, c’était facile d’être l’amant de Casque d’Or, mais il a fallu beaucoup d’amour pour rester avec Madame Rosa. » Le ton est donné. Malgré la fascination exercée sur lui, à l’époque, par le compagnon de sa grand-mère, l’auteur décrit un homme machiste, parfois cynique et souvent cruel, voire carrément odieux avec les femmes de sa vie.

Arrive ensuite l’histoire entre Montand et Carole Amiel, une assistante rencontrée en tournée peu avant la mort de Simone.
C’est avec elle qu’il deviendra père pour la première et dernière fois : un fils prénommé Valentin, âgé de 15 ans aujourd’hui. Au milieu de ces souvenirs plus ou moins douloureux, Castaldi dresse le portrait de sa propre personne. On apprend que Christine Ockrent était « un de ses grands fantasmes » d’adolescent, qu’il n’a jamais été porté sur la drogue ou l’alcool, mais que le jeune play-boy qu’il était a laissé des fortunes au casino d’Enghien.

Passons sur ses séjours aux Etats-Unis, ses débuts à la radio et la consécration de « Loft Story ». Ce n’est qu’aux toutes dernières pages du livre, le jour de son mariage avec Flavie Flament, le 21 septembre 2002, que prennent fin des années de non-dit : sa mère, qui a refusé de venir à la cérémonie, lui lâche au téléphone : « Tu ne pourras jamais comprendre, mon petit Benjamin. Sache que j’ai prié, quand je t’attendais, pour que tu sois un garçon et surtout pas une fille. »

C’est le choc. « Montand, écrit l’auteur, n’avait pas toujours avec elle l’attitude que l’on attend d’un beau-père (…) et sa propre mère avait balayé le problème en le parant de romantisme. (…) Cela faisait des années que ma mère hurlait et je l’entendais pour la première fois. »
L’épilogue, signé Catherine Allégret, résonne comme un grand soulagement : « Mon fils, tu m’as libérée du poids de la honte, de celui qui vous étouffe et vous submerge de toute la force de son silence. »
St.B., Le Parisien, 6 mai 2004, p. 3
* Benjamin Castaldi, Maintenant, il faudra tout se dire, Albin Michel, Paris 2004

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Lie de mort
Catherine Allégret, 58 ans, comédienne. Dans un livre à paraître, elle affirme que son beau-père Yves Montand a abusé d’elle une fois lorsqu’elle était enfant.

Elle parle. Il est mort. Catherine Allégret et Montand. Elle approche la soixantaine, il est sous terre depuis treize ans. Elle revient sur son enfance, sur leurs relations. Il ne peut que se taire à jamais. Elle dit ça et ça le tue une fois encore.

Elle a 5-6 ans. Il est son beau-père adoré, son héros trop souvent absent. Elle est dans une baignoire, il la lave. Elle écrit : «Son doigt me fouille. Et je ne dis rien. Je n’ai jamais rien dit. Est-ce que j’ai saigné ? Je ne sais pas.» Est-ce qu’il recommence, est-ce qu’il continue ? Elle laisse le flou embuer sa mémoire. Peut-être, peut-être pas. De toute façon, l’opprobre est jeté dans cette société où la pédophilie est devenue le crime des crimes. Ensuite, c’est une histoire d’adultes. Une jeune, un vieux. Il lui saute dessus, elle se débat. Elle lui lance : «Arrête Montand, fais pas le con !» Le couvre-lit se déchire. Il finit par arrêter. Au-delà de ces épisodes, Allégret raconte un Montand Jekyll et Hyde. Merveilleux, malicieux, mais aussi graveleux, peloteur. Et violent, intimidant. Elle écrit : «Montand fut un beau-père « bizarre », parfois abusif, trop familier.» Avant de le traduire au tribunal de l’opinion, elle ne l’a jamais traîné en justice. Elle y aurait dit : «J’ai subi une relation intime troublante et traumatique, imposée par un adulte à une enfant.» Donc, Montand pédophile ? Eh, bien non. Allégret vous répond «moment d’égarement», insiste sur le «pardon» qu’elle lui a accordé, dit qu’il s’est calmé, qu’il a fini par devenir son «petit papa». Mais, ayant ainsi affiché sa magnanimité, elle conclut son livre d’un : «On n’oublie rien. On s’habitue, c’est tout.»

Voilà, on a ça sur les bras. Avec le mensuel Psychologies et Mireille Dumas, la der de Libé fait partie d’une stratégie d’humanisation. On pourrait s’abstenir, refuser de plonger dans la glauquerie. Les faits sont invérifiables. C’est parole contre non-parole. On ne saura jamais. Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur cette rengaine actuelle qui veut que chacun soit à la recherche d’une blessure fondatrice qui l’exonérerait de toutes ses mauvaisetés. Sur ce dur désir d’exister quand on vous a trop fait d’ombre. Sur cette exhibition de l’intime des connus, qui tourne à l’éviscération des héros. Sur cette nouvelle mise à mort du vieux mâle occidental.

Alors, on rencontre Catherine Allégret. Elle est calme et retenue, loin de la virago vitupérante souvent décrite, loin de la femme brisée, abîmée, souvent racontée. Elle est en col roulé noir, placide, précise, très contrôlée, endiguant ses tendances à trop en dire, à monter en régime. Elle fusille le privé de ses parents mais reste fidèle à leurs convictions publiques. La pétitionnite maternelle pouvait lui coller des boutons, elle soutient la gauche, regrette Jospin. Comme eux encore, elle se veut une saltimbanque conséquente. Seule diffère la faveur publique…

Ensuite, on appelle la dernière femme de Montand, son neveu de confiance, des proches. Ils sont catastrophés, furieux. Ils disent «délire», elle répond «omerta». Jean-Louis Livi, élevé avec Catherine, lance : «Attaquer un homme qui ne peut pas se défendre, c’est abject.» Il ajoute : «Elle le voue aux enfers. J’espère qu’elle pourra dormir en paix.»

Catherine Allégret s’était toujours juré de se taire. C’est Benjamin Castaldi, son fils, qui la pousse à parler. En mai dernier, il lève le voile sur les secrets de sa mère. Qui laisse faire, qui confirme. Façon pour Castaldi d’excuser une femme colérique, déroutante, qui refuse d’assister à son mariage ou ne lui envoie pas dire que Loft Story, qu’il anime, est une «ignominie». Manière pour le fils-télé, longtemps inconséquent et dépensier, de s’affirmer en nouveau chef de famille en raflant symboliquement sa mère au patriarche déchu. Mais ces révélations tombent mal. Le pays a une overdose de pédophilie. Outreau, c’est trop. Et puis exhumer à nouveau le cadavre de la sexualité de Montand finit par apparier les Allégret-Castaldi aux Drossart mère et fille, sans qu’aucun ADN ne puisse trancher le débat. Pire, Paris Match balance que Montand et Allégret étaient amants. Cette dernière est furieuse. En l’inversant, on lui vole son histoire. D’où le livre. 1) Pour défendre son fils, au risque de meurtrir celui du Papet, Valentin. 2) Pour régler ses comptes avec les familiers qui doutent de sa parole comme ils l’ont reléguée dans l’oubli, daubant sur sa «vulgarité», son «irascibilité». 3) Pour dire qu’elle était la harcelée, pas la demandeuse.

Sur ce dernier point, les versions s’affrontent. a) Allégret raconte Montand la poursuivant de ses assiduités depuis toujours. Et elle le repoussant à qui mieux mieux. Le tout finissant par une scène aux Bermudes. Elle a 30 ans. Il joue son va-tout. Elle le bâche d’un : «J’aime pas les vieux.» Il est vexé comme un pou. Elle se prend une double baffe. Mais ensuite, il y revient moins. Dans le mouvement, Allégret trucide mieux encore Signoret, avec laquelle elle concède «une rivalité féminine». Elle dit à sa mère : «Tu sais, des fois, il m’embête.» Réponse : «Ce n’est pas grave ma chérie, c’est même très joli. C’est un peu une façon de prolonger notre histoire.» Commentaire assassin d’Allégret : «Aussi longtemps qu’il s’intéressait à moi, il ne partirait pas.» b) Pour le clan Montand, c’est le monde à l’envers. Ils sont nombreux à décrire la passion d’Allégret pour son beau-père. Un de ses proches : «C’est un oedipe dont on n’oserait pas écrire le scénario.» Une autre : «Elle veut être la veuve de Montand.» Ils se souviennent d’Allégret le soutenant dans sa carrière, se faisant sa confidente, le défendant bec et ongles contre les Drossart. Mais cédant aussi à la jalousie quand Valentin vint au monde. Souvenir : «Catherine est l’être le plus jaloux que j’ai jamais vu. Comme on peut l’être dans une tragédie grecque.»

Pourquoi parler si tard ? Allégret affirme qu’avant la mort de Montand, elle ne pouvait rien dire, qu’elle avait peur. Qu’elle a accepté nom et héritage parce qu’il s’était déjà amendé, qu’il l’effrayait moins. C’est un peu contradictoire, mais tant pis. Sinon, elle soutient en avoir déjà parlé à ses deux maris, à ses deux enfants, et dans un roman à clé. Ce qui est vrai.

En face, on la voit moins mue par l’intérêt que par le besoin de faire l’intéressante. Elle refuse de donner le montant (avec un t) de l’à-valoir versé par Fayard, se plaint d’être sous les minima des Assedic malgré ses rôles de bistrotière chez Navarro, regrette que les droits d’auteur de Montand s’amenuisent : moins de chansons programmées, de films diffusés. Pourtant, son train de vie reste confortable : un appart’ près du Luxembourg, une maison à Honfleur. Ses détracteurs alignent plutôt dans le viseur son angoisse d’avoir raté sa carrière, son «besoin d’occuper le devant de la scène», sa volonté d’être au niveau de ses devanciers. Et de rappeler une de ses plaintes d’avant : «C’est dur de devenir la « mère de » après avoir été la « fille de ».»

Allégret, Montand. Sa douleur contre son honneur. Montand muet dans le caveau, où il a rejoint Signoret. Allégret et son sentiment d’avoir été «enterrée vivante» à la mort des deux monstres sacrés. Allégret qui s’évitera la dernière demeure familiale. Qui veut que ses cendres soient dispersées.
Libération, Par Luc LE VAILLANT, mercredi 29 septembre 2004, p. 40


Bio express
Catherine Allégret en 9 dates
1946 Naissance.
28 mars 1970 Naissance de Benjamin.
7 février 1984 Naissance de Clémentine.
30 septembre 1985 Mort de Simone Signoret.
1987 Adoption par Yves Montand.
9 novembre 1991 Mort de Montand.
1997 L’Entre-Deux-Mères (Stock), roman à clé.
Mai 2004 Benjamin Castaldi publie Maintenant, il faudra tout se dire (Albin-Michel).
6 octobre 2004 Un monde à l’envers (Fayard).

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